- MOTIVATION
- MOTIVATIONConnotant aussi bien de purs besoins physiologiques que des aspirations artistiques, religieuses ou scientifiques, le terme de motivation suscite à bon droit la méfiance: ne s’agirait-il pas encore ici de quelque vague notion métaphysique, appartenant au cadre de la pensée préscientifique, et peu susceptible de recevoir une élaboration conceptuelle pouvant lui conférer une quelconque efficacité opératoire? Le thème de la motivation paraît d’abord étroitement lié aux réflexions propres à la philosophie morale, concernant le sens du devoir et le désir du bien.Dans la mesure, en effet, où l’homme est conçu à la manière d’Aristote comme étant le principe de ses actes, la recherche porte essentiellement non tant sur la nature des motifs sous-tendant l’activité humaine que sur la fin dernière de l’être, dont la connaissance devrait procurer le souverain bien. D’un côté, la réflexion s’enracine dans une métaphysique qui serait seule habilitée à découvrir la motivation réelle et fondamentale de l’homme, tandis que, de l’autre, elle s’étaie sur des modèles physico-psychologiques.Le second point de vue paraît le plus largement représenté, dans les traités contemporains sur la motivation, sous la forme de l’hédonisme, théorie selon laquelle toutes les actions seraient motivées par le plaisir ou l’absence de douleur. Notons cependant l’ambiguïté de cette définition, telle qu’elle avait été ressentie par les Anciens. Faut-il, avec Aristippe de Cyrène (Ve s. av. J.-C.), opposer plaisir à douleur comme mouvement léger à mouvement violent, ou concevoir qu’il existe un état autre que le mouvement, état stable et constitutif, caractéristique du plaisir selon Épicure? La question éthico-psychologique d’une vie en accord avec la nature entraîne donc ici à titre d’exigence préalable la construction d’un modèle de l’univers, aux lois duquel l’homme serait secrètement motivé à se conformer. S’en dégage l’idée d’une unicité de la motivation qui, à travers des strates plus ou moins nombreuses, vise au recouvrement ultime entre vœu du sujet et dessein de la nature.Mais c’est essentiellement autour des discussions théologiques et philosophiques concernant le libre arbitre et le déterminisme que sera mis en lumière le caractère éminemment conflictuel des différentes motivations, mettant en jeu un élément qui déborde de partout la volonté libre du sujet.Apparaît ici l’originalité de la thèse leibnizienne dans l’affirmation de la nature intrinsèque, ex hypothesi , du déterminisme. C’est une «hypothèse», au dire de Leibniz, que le choix du monde, déterminé conditionnellement par Dieu comme meilleur possible, grâce à un calcul intuitif. Ainsi, la motivation de Jules César à franchir le Rubicon n’est pas comprise dans la «notion éternelle» de Jules César, mais s’enracine dans le «personnage» historique que Dieu lui a donné, en tenant compte des rapports de compossibilité et de la suite des choses. Cela se formalise dans l’élaboration de la notion de série, comprise comme principe d’ordination des phénomènes, ramenant la chaîne des motivations à la ratio profonde qui la sous-tend, de manière à entraîner l’analyse de tous les requisits, exprimant les divers degrés de tension de l’être vers l’existence. L’infini «syncatégorématique», dont les séries mathématiques donnent le type, trouve de la sorte son complément nécessaire dans un infini «catégorématique», loi dernière de la série.Telle est l’origine de tout un courant qui, à travers la psychologie de Johann Friedrich Herbart, donnera naissance à la conception par strates de l’appareil psychique freudien et qui, d’autre part, renforcé par les travaux épistémologiques d’Ernst Cassirer et les expériences de l’école de Würzburg, conduira Kurt Lewin à une accentuation et à une généralisation méthodique de la sériation temporelle. Alors seulement la motivation s’élève à la dignité de construct , pour reprendre le terme de Karl Pearson. Si l’étude de la motivation semble, en effet, devoir couvrir l’intégralité du champ psychologique, comme pétition principielle d’une explication possible du comportement humain, son emploi systématique s’avère étrangement récent, notamment en psychologie expérimentale.Glissements de sens propres à la notionParticulièrement frappante semble la tendance propre aux auteurs béhavioristes à évacuer la notion de motivation. Les uns, nominalistes, voient en elle le moyen de baptiser un certain nombre d’agents physiologiques fort hétérogènes, influençant ou non le comportement; d’autres la conçoivent comme facteur de sensibilisation (sensitizer ) et d’activation (energizer ) de l’organisme vis-à-vis de l’excitant. Dans le schéma stimulus-réponse, l’action est effectivement le propre du stimulus, puisque l’organisme vivant se caractérise seulement par la façon spécifique dont il «réagit» aux excitants déterminés. Donc, ou bien la motivation s’identifie au stimulus, ou bien ce terme n’est qu’un procédé aussi discret que superflu pour souligner l’activité de l’être vivant. Mais le corollaire de ce désaveu du concept, n’est-ce pas la mise «hors circuit» du sujet concret?On surprend alors la formation d’un sens polémique du terme de motivation destiné à caractériser l’activité humaine vue a parte subjecti , c’est-à-dire comme tendance dirigée, effort pour atteindre un objet-but. Sous ce concept seulement pourrait apparaître l’originalité du comportement, doté d’une organisation intrinsèque et d’une direction. Autrement dit, s’opère à ce niveau un premier glissement d’une motivation conçue comme excitation venue de l’extérieur vers une motivation qui serait excitation interne ou pulsionnelle. Alors que l’excitation physiologique permettait en droit à l’individu de se soustraire à son impact unique et momentané, il lui est impossible de venir à bout de la pulsion par des réactions de fuite. De là la hantise freudienne: constituer une théorie des pulsions qui ne soit pas une simple mythologie, mais qui rende effectivement compte des processus psychiques se déroulant dans l’inconscient.Mais un autre glissement – et qui n’est point équivalent – semble corrélativement s’effectuer d’un modèle de régulation physiologique vers un modèle proprement psychologique. La motivation n’est pas seulement cette modification de l’organisme le mettant en mouvement, jusqu’à réduction de la tension, mais ce facteur spécifique qui prédispose l’individu à accomplir certains buts. Or c’est bien sur les deux sens du terme, cette fois, que jouera la deuxième topique freudienne, puisque le motif sera conçu en dernier ressort comme un «trouble-fête», à l’élimination duquel toute l’activité humaine se verra consacrée.Approche psychanalytique et constitution historique des motivationsTelle est bien, en effet, une des difficultés essentielles à la psychanalyse: comprendre comment la destinée pulsionnelle forme un mode de défense contre la pulsion. Il faut donc saisir dans un premier temps les avatars de la sexualité, qui se constitue par étayage sur les pulsions du moi et traverse successivement des phases d’évolution déterminées dont chacune laissera une «trace» indélébile dans les formations ultérieures. L’inconscient s’avère alors historiquement constitué, n’étant pas seulement tout processus psychique dont l’existence nous est démontrée par ses manifestations, mais plus précisément «tout processus dont nous admettons qu’il est présentement activé, sans que nous sachions, dans le même moment , rien d’autre sur son compte» (Neue Folge der Vorlesungen zur Einführung in die Psychoanalyse , 1932). Perdant son sens traditionnel et descriptif de latent, l’inconscient a d’abord été déduit de la théorie du refoulement dans la dynamique freudienne, pour enfin être également inféré, à partir de la résistance actuelle offerte par le moi, au sein de la dernière systématique. C’est dire que, après avoir caractérisé uniquement l’élément sexuel refoulé, l’inconscient en est venu à se situer dans le processus refoulant même.Comment alors définir le sujet, renvoyé perpétuellement à l’autre dans le débordement que constitue l’éternelle signifiance de passés étrangers? Issues de l’histoire de l’espèce, empruntées à autrui et jaillies de la situation actuelle, les motivations ne cessent d’entrer en conflit, posant au moi des problèmes qu’il lui est vital de présentement résoudre. En ce qui concerne l’héritage phylogénétique, les pulsions émanées de l’organisation somatique trouvent déjà au niveau du « ça » un premier mode d’expression conflictuelle sous forme de lutte entre motions sexuelles contradictoires. Car la sexualité contient en elle-même une source indépendante de déplaisir, par suite de l’«action différée» de souvenirs d’excitations provenant de zones sexuelles abandonnées (lettres à W. Fliess du 1er janv. 1896 et du 14 nov. 1897). Mais le ça constitue, plus profondément encore, l’arène originaire du conflit entre pulsions de vie et pulsions de mort, conflit qui trouve tout son sens au niveau énergétique comme combat entre forces de cohésion et de destruction. Si l’assouvissement des besoins s’opère d’une façon totalement anarchique et dans une parfaite indifférence à l’égard du temps et de la réalité matérielle, la motivation essentielle, dit Freud, consiste à fuir le déplaisir; et seule la réduction de tension est susceptible d’engendrer la satisfaction (Jenseits des Lustprinzips , 1920). L’apparition de la vie doit être cause aussi bien de la prolongation de la vie que de l’aspiration à la mort; aussi les motivations propres aux pulsions de mort et, en particulier, à leur principal représentant, l’agressivité, apparaissent-elles, tout autant qu’Éros, définitivement conservatrices. La mort, comme symbole de résolution définitive des tensions, représente l’impossibilité ultime des possibilités. Tel le fin tracé difficilement repérable des sinopie florentines, présidant à l’ordonnance des formes et des couleurs mais disparaissant de la fresque définitive, les motivations létales déterminent historiquement la constitution du sujet, tout en semblant endiguées par les forces de la vie.Mais il faut suivre la destinée des pulsions pour voir comment l’identification à autrui, et tout particulièrement aux parents dans la résolution du complexe d’Œdipe, devient la source d’une désintrication de leur cours. L’identification constitue, en effet, la première forme d’attachement affectif et la première des sublimations, puisqu’elle suppose un changement, quant au but, de la pulsion sexuelle. Cependant, l’enjeu de cette désexualisation est la dissociation entre, d’une part, les forces érotiques demeurant dans le ça et, d’autre part, les exigences émanées d’autrui, qui contribuent à former ce que Freud a appelé l’« idéal du moi ». Le risque apparaît alors évident: les éléments érotiques peuvent ne pas être assez forts pour immobiliser les éléments destructifs, si bien que l’agressivité détachée du monde extérieur fait retour sur le moi. La fonction du surmoi est ainsi marquée d’une irréductible ambiguïté, puisqu’il réfrène les satisfactions les plus immédiates, par le même mouvement qu’il engendre les aspirations humaines les plus élevées. Par ailleurs, cette instance s’étant constituée dans une période où le moi se caractérisait par sa particulière faiblesse infantile, le processus motivationnel issu du surmoi constitue un courant fort puissant qui tend à échapper intégralement au contrôle du moi.Évanescence du sujet motivé et problème de méthodeLa subversion du sujet apparaîtrait donc totale, si une fonction du moi n’était pas dévolue à l’orchestration actuelle entre besoins pulsionnels contradictoires et exigence mortelle du surmoi. Mais le moi, représentant essentiel du monde extérieur, s’avère déterminé lui-même par ce qu’il a vécu, c’est-à-dire par l’accidentel. Cependant, caractérisé par le pouvoir de «tenir les choses à distance» et par la compulsion à la synthèse, il s’efforce de découvrir le moyen «le plus favorable et le moins périlleux» d’obtenir une satisfaction, au nom de ce principe d’économie cher à Leibniz. Mais manque précisément au sujet freudien la connaissance impartie à Dieu des différentes séries, dont il faut démêler l’entrecroisement actuel pour comprendre l’action présente de la monade.Pourtant, selon le postulat fondamental de la psychanalyse, le sujet «n’est pas sans savoir» – expression freudienne soulignée par Jacques Lacan – ce qui le motive à agir. Aussi bien la reconstruction du processus historique de la motivation sera-t-elle possible dans la situation transférentielle, lieu où les vicissitudes de position de l’analyste deviennent, grâce à l’illusion personnalisante, les moments de l’inconscient dans la découverte qu’on en fait. Est ainsi postulé un éclectisme aussi difficile à manier que seul justifiable en dernier ressort, le psychanalyste signifiant les trois strates de la motivation, autant stimulus que besoin pulsionnel ou exigence d’idéal.Cet éclectisme, les expérimentalistes, et tout particulièrement Lewin, s’efforceront de le battre en brèche, aspirant à conférer un sens plus directement opératoire au terme de motivation. Mais la psychologie dynamique se donnera en même temps comme «généralisation» de la dynamique freudienne. Si Freud avait déjà relativisé la notion de champ psychologique en montrant que le plus court chemin de satisfaction n’était pas fixé par un étalon absolu, mais par le système libidinal de référence propre à chacun, Lewin s’efforcera de rendre efficiente cette théorie, grâce à la formulation de lois donnant la raison des différences individuelles, et de constructs liés aux faits observables par une définition opérationnelle et coordonnés à certains concepts mathématiques. P. Kaufmann (1968) a montré comment l’originalité de Lewin tient à la généralisation de la méthode sérielle, fait dont on a trop peu souligné l’importance pour le développement de la recherche en psychologie. Plus précisément, le courant méthodologique de réflexions sur la motivation, dont on a déjà mentionné l’ancienneté, semble avoir influencé Lewin en trois points essentiels: mise en évidence de l’interpolation des éléments latents, détermination des moments initial et final grâce auxquels on peut appliquer aux processus les principes de maximum et de minimum, enfin affirmation de la prévalence des rapports d’ordre sur les rapports métriques. Par suite, la série temporelle est constituée comme paramètre de base, selon lequel les changements observés seront ordonnés.Ainsi il faudra déterminer dans quelle série temporelle la motivation retentit sur le comportement et, d’autre part, envisager dans leur unité les séries temporelles intéressant l’ensemble de la recherche.La motivation comme «construct»: critique du conditionnementLa motivation, dit Lewin dans un article de 1940, est en effet un construct s’opposant à celui d’intelligence ou d’aptitude (ability ). Deux cas peuvent alors se produire: la situation motivante modifie l’aptitude intellectuelle de l’individu dans une situation déterminée ou bien elle la transforme définitivement par une influence qui peut être soudaine et profonde ou, au contraire, s’exercer pendant une longue période. Si l’intérêt est trop bas, ou le zèle trop grand, l’accomplissement intellectuel se trouve réduit. En de pareils cas, l’aptitude de la personne ne change pas, mais seulement la situation psychologique existant pour elle. Autrement dit, puisque pour Lewin l’environnement psychologique et la personne ne sont qu’un seul et même champ dynamique, cela signifie qu’en conséquence de la tension émotionnelle la capacité de la personne à l’intérieur du même environnement objectif est devenue moindre.On comprend ici l’originalité de Lewin par rapport à Freud. Certes, ce dernier avait déjà défini la pulsion comme «une certaine quantité d’énergie tendant vers une direction déterminée» (1932). Mais il est revenu à Lewin de montrer comment non seulement des «forces» contrôlent le cours des processus, mais comment il y a «guidage» du processus par le champ perceptif (1935). En outre, les conditions de liaison de l’énergie libidinale sont pour la psychanalyse déterminées par le destin, alors que, dans une théorie du champ, ce choix appartient à l’environnement, caractérisé par des «valences» positives ou négatives. Ainsi, Lewin a montré comment la consigne de l’expérimentateur ne devient motivante qu’en tant qu’elle engendre un «quasi-besoin» poussant à l’accomplissement d’une activité, même en l’absence d’occasion donnée à celle-ci. On renverra ici, entre autres, aux analyses de Bluma Zeigarnik (1927), qui montrent contre A. Aal que le privilège de rappel des activités interrompues n’est pas dû à une «fixation intentionnelle» au niveau de la représentation, mais à une force sous-tendant cette représentation, la tension; aux recherches d’Anita Karsten (1928) sur la saturation, qui permettent le repérage de systèmes de tension correspondant à diverses tâches, selon leurs rapports d’inclusion ou d’exclusion; et surtout à la célèbre caractérisation de la colère par Tamara Dembo (1931) comme résultat de pressions s’exerçant en des sens opposés. Bien significative également est l’étude systématique des connexions entre but originaire et substituts, but idéal et but réel dans le cas du niveau d’aspiration (1937), tout autant que la mise en évidence d’une relation inversement proportionnelle entre frustration et constructivité dans les jeux d’enfants (1941).Grâce à ses schémas topologiques devenus classiques, Lewin en est venu à systématiser les formes principales de conflit d’une façon relativement assez voisine des théoriciens néo-béhavioristes, tels que Clark L. Hull (1943), lorsqu’ils étudient les conflits approche-approche, évitement-évitement, évitement-approche en termes de gradients. On voit ici le joint entre deux courants, l’un issu du freudisme et l’autre de la psychologie animale et de la théorie de l’apprentissage: l’objet de cette dernière est en effet l’étude des états variés de l’animal – tels que le besoin sexuel ou la faim, qui peuvent être manipulés et contrôlés grâce à des privations ou de fortes stimulations – mais aussi des besoins dérivés, tels que l’agressivité, la curiosité, la tendance à la manipulation ou le besoin de perception. De façon générale, pour reprendre le langage de Hull: «Quand une réponse (R) est étroitement associée à la trace de stimulus (s ) et que la conjonction stimulus-réponse est associée à une diminution des stimuli d’origine pulsionnelle (SD), il en résulte un accroissement de la tendance de la trace du stimulus (s ) à évoquer cette réponse (R).» Cependant, pour la psychologie dynamique, les motivations ne sauraient certes être identifiées en termes de quelques besoins fondamentaux, en droit isolables de leurs conditions globales d’émergence et de satisfaction.Bien plus, dès 1936, Lewin tente une généralisation psychosociale de sa dynamique de l’interprétation, en élaborant la notion de «champ de puissance sociale», dont l’influence s’exerce sur l’individu par l’intermédiaire de l’«idéologie». Ainsi, fort de son expérience de l’Allemagne hitlérienne, examine-t-il les rapports de force sous-jacents aux processus de groupe, en étudiant l’influence de l’«atmosphère» autocratique ou démocratique sur leur stabilité et leur structure (1938). En outre, par l’extension de l’ordre topologique à la structure des groupes, il s’avère être le pionnier des études de motivations, notamment dans une publication de 1942 concernant l’origine des décisions prises par les individus dans leurs choix alimentaires. Reste alors à se poser la question d’une systématisation possible de toutes les catégories de motivations humaines.Une typique des motivationsCette première question supposerait résolue celle, plus aiguë encore, de la nature ultime des motifs. De fait, on peut dégager quelques grandes tendances dans la littérature contemporaine concernant la motivation. L’une, représentée par J. S. Brown (1961), met l’accent sur les composantes associatives de la théorie de Hull, en absorbant le problème de la motivation dans l’analyse des systèmes d’habits . Pour Hull, en effet, «la force de l’habitude (c’est-à-dire la tendance pour une trace de stimulus à évoquer une réponse associée) est une fonction positive croissante du nombre d’épreuves, pourvu que celles-ci soient convenablement distribuées; et le renforcement s’accroît à chaque épreuve». La logique de l’associationnisme se montre ici à l’œuvre, dans la mesure où la motivation tend à se dépouiller de sa signification proprement dynamique.Dans le même sens se prononce la tendance illustrée par J. W. Atkinson (1964), qui refuse de concevoir la pulsion comme type de motivation; elle aboutit avec C. N. Cofer et M. H. Apley (1964) à un modèle d’«équilibration» insistant sur les mécanismes d’anticipation et de renforcement (anticipation-invigoration mechanisms ). Le retour à Lewin prévaut cependant avec les travaux de J. Nuttin (1963), sous cette réserve que l’organisme ne tend pas toujours vers une détente complète, mais vers un optimum de tension, la création de nouvelles tensions faisait partie intégrante du processus motivationnel et la motivation s’intensifiant à l’approche du but.Ces divergences sont significatives: depuis les considérations d’Aristippe de Cyrène sur la nature du plaisir et la mise en évidence de la monade leibnizienne comme fons variationum et tendance réglée de laquelle les phénomènes découlent par ordre, la recherche sur la nature de la motivation a pu bénéficier d’un affinement des méthodes en vue d’expériences nécessairement limitées; psychologie animale, psychologie dynamique et psychanalyse n’en continuent pas moins, en dépit de l’effort d’intégration tenté par Lewin, à se disputer un champ qu’elles sont impuissantes à constituer dans sa totalité.Et l’on peut encore rêver de cet étonnant instrument dont le possesseur serait l’égal de Dieu: un schéma dynamique qui, rendant compte des diverses strates du processus motivationnel, serait capable de recouvrir la gamme intégrale des comportements humains.Le concept de motivation en éthologieL’expérimentation développée par les éthologistes modernes a mis en relief les divers types de variations selon lesquelles peut s’exprimer un comportement lorsqu’un même stimulus est présenté successivement à un même animal. Certaines de ces variations sont des modifications progressives plus ou moins rapides de la forme ou de l’intensité de la réaction (habituation, conditionnement, apprentissage); d’autres possèdent des caractères de réversibilité, de cyclisation et de plasticité qui les éloignent des précédentes (l’oiseau ne répond au stimulus «œuf» par le comportement «couvaison» que pendant une courte période de l’année; chez les mammifères, la femelle ne présente au stimulus «mâle» la réponse «posture d’accouplement» que pendant certaines phases de son cycle génital). La nature des changements internes qui modifient la capacité de réponse, l’intégration des réponses séparées en séquences fonctionnelles, la directivité du comportement sont autant d’éléments que, jusqu’à ces dernières années, on a groupé sous le terme vague de motivation: «facteur psychologique prédisposant l’individu, animal ou humain, à accomplir certaines actions ou à tendre vers certains buts» (H. Piéron). Les distinctions n’ont pas toujours été claires entre «motivation», «pulsion» et « drive ». À l’heure actuelle, les psychophysiologistes s’efforcent d’analyser de manière précise tous les facteurs ayant un effet énergétique direct sur l’activité de l’animal en évitant l’emploi de ces notions trop vagues.En général, il est possible de lier causalement un type de comportement et un certain nombre de facteurs externes ou internes: durée d’une période de jeûne et prise alimentaire; état de concentration de l’hormone testiculaire et comportement sexuel mâle, etc. Mais les problèmes ne sont pas toujours aussi simples, et l’on a pu décrire l’effet déprimant sur le comportement sexuel d’une privation prolongée de nourriture ou l’effet excitant d’une privation sexuelle sur le comportement agressif.Pour aller plus avant, on a multiplié les expériences de combinaison de comportements et montré les degrés réels de leurs interrelations: des rats courent plus vite pour éviter un choc douloureux ou émotionnel quand ils sont modérément affamés ou assoiffés que lorsqu’ils sont rassasiés. Deux périodes d’une minute de manipulation d’un rat par l’expérimentateur pendant la copulation accroissent notablement l’activité sexuelle et réduisent le nombre d’intromissions avant la première éjaculation, mais seulement si les mâles étudiés sont vieux. Devant une telle intrication des phénomènes, on est obligé d’écarter les théories simples de N. Tinbergen (1952), qui n’envisagent le comportement que sous la forme d’un assemblage hiérarchique d’activités, chacune de celles-ci possédant ses facteurs particuliers de causalité.Beaucoup d’auteurs, particulièrement à la suite de la formulation de Hull (1943, 1952), considèrent que ces variables motivationnelles s’ajoutent aux stimuli efficaces pour contribuer à l’expression d’un «drive général» dont dépend l’intensité du comportement. J. S. Brown (1961) voit ce drive fonctionner seulement comme un activateur supra-spécifique. Cette conception même du drive général est dénoncée comme souvent dangereuse ou au moins inutile par R. A. Hinde (1970), qui estime plus objectif de s’en tenir aux termes descriptifs du continuum: état vigileéveilactivation. La recherche sur les motivations se trouve alors menée en parallèle avec la recherche physiologique sur l’activité du système nerveux central (système réticulaire), du système endocrine ou du système métabolique cellulaire producteur d’énergie (E. Duffy, 1962).Un tel parallélisme des travaux évite, pour le concept «niveau d’activation», les écueils rencontrés par celui de drive général. Il permet de souligner la disparité des effets d’un même état motivationnel sur les divers effecteurs de l’organisme: la privation de nourriture et d’eau, par exemple, amène une croissance du drive général et une intensification des comportements quantitatifs de la prise d’aliment (latence, vitesse, etc.); elle s’accompagne cependant d’une diminution du rythme des battements cardiaques et vice versa.Depuis les années 1930 – et sous l’influence de l’école éthologique américaine –, les recherches sur l’ontogenèse des comportements se sont multipliées. Souvent, en effet, les activités des jeunes animaux ne semblent pas liées aux contextes motivationnels qui caractériseront les mêmes activités chez l’adulte. On peut soit tendre à découvrir des motivations propres aux jeunes (motivation de jeu selon Leyhausen), soit tendre à décrire l’intrication progressive des divers éléments de causalité dans les comportements en organisation (comportement de nourrissage du jeune goéland analysé par Hailman, comportements des jeunes poissons cichlidés analysés par l’école de Barlow, comportements interindividuels chez les jeunes insectes sociaux analysés par Montagner, etc.). Par ailleurs, divers auteurs ont étudié les conséquences d’une expérience particulière du jeune sur les réactions de comportement de l’adulte: émotionnalité (Denenberg), infantilisation (Altman), exploration, agressivité, apprentissage, etc.S’il en était encore besoin, les expériences de Kaspar Hauser ou de Konrad Lorenz ont prouvé que le concept de motivation ne pouvait pas se réduire à la seule description d’un état neuroendocrine temporaire exprimé par l’adulte, mais qu’il devait faire place à la répercussion sur l’organisme des nombreux échanges qu’il entretient avec son milieu au cours de sa construction, échanges qui contribuent à la formation des stéréotypes de l’animal morphologiquement et physiologiquement achevé.• 1899; h. 1845; de motiver1 ♦ Philos. Relation d'un acte aux motifs qui l'expliquent ou le justifient. La motivation d'un acte.2 ♦ Écon. « Ensemble des facteurs déterminant le comportement de l'agent économique, plus particulièrement du consommateur » (Romeuf). Études de motivation.3 ♦ Psychol. Action des forces (conscientes ou inconscientes) qui déterminent le comportement (sans aucune considération morale). Les motivations profondes de qqn. Motivations conscientes, inconscientes.4 ♦ Ling. Relation naturelle de ressemblance entre le signe et la chose désignée. Motivation des onomatopées. — Caractère d'un signe complexe dont le sens se déduit de ses composants. Mot qui perd sa motivation. ⇒ démotivé.motivationn. f.d1./d PHILO Relation d'un acte à ses motifs.d2./d PSYCHO Ensemble des facteurs conscients ou inconscients qui déterminent un acte, une conduite.d3./d ECON Ensemble des facteurs déterminant le comportement d'un individu en tant qu'agent économique (plus partic., en tant que consommateur). étude de motivation.⇒MOTIVATION, subst. fém.I. — [Correspond à motiver I A] PHILOS. Action de motiver, d'alléguer les (l'ensemble des) considérations qui servent de motif(s) avant l'acte et de justification à cet acte, a posteriori. Dans la Grèce, ce qu'il plaît à Nietzsche de découvrir, c'est cette insatisfaction même et ce déséquilibre sacré où le Christianisme trouvera son autorisation, sa motivation, sa raison d'être (GIDE, Feuillets, 1937, p.1282). Les valeurs ne m'apparaissent que dans une situation historique qualifiée où je m'oriente et cherche à motiver mon action. La motivation d'un projet précis est le rapport fondamental où s'insèrent des jugements moraux (RICOEUR, Philos. volonté, 1949, p.72). Toute action libre et volontaire se base sur une motivation plus ou moins consciente. Ce sont les raisons que l'on se donne pour agir (BIROU 1966):• 1. ... si (...) l'artiste ne se connaît point de motivation extérieure, sociale, s'il est tout gratuit, il n'est pourtant pas immotivé; il pressent et entrevoit même à quelle sorte d'apostolat il est prédestiné par la nature de son esprit, de son être et, en son fond, il ne tend à rien d'autre. C'est pour atteindre un tel secret qu'il se cherche (...) des parentés, (...) toute une antériorité spirituelle qui le justifiera.MASSIS, Jugements, 1923, p.32.II. — [Correspond à motiver II]A. — PSYCHOL. Ensemble des facteurs dynamiques qui orientent l'action d'un individu vers un but donné, qui déterminent sa conduite et provoquent chez lui un comportement donné ou modifient le schéma de son comportement présent. Champ de la motivation; motivation consciente; motivations économiques, électorales, individuelles, professionnelles. La réussite professionnelle (...) [est] de plus en plus considérée comme due dans une large part à la motivation du sujet, alors qu'autrefois on ne tenait guère compte que de ses aptitudes (P.PICHOT, Les tests mentaux, p.76 ds FOULQ. 1971):• 2. Entre les capacités d'un individu et son rendement réel s'interposent ses motivations (...). Qu'est-ce qui définit l'intérêt d'un travail? Qu'est-ce qui fait que le contenu même du travail soit une motivation à travailler ou au contraire un obstacle qu'il faut vaincre? C'est bien entendu un certain rapport entre la tâche et les aptitudes et intérêts de celui qui l'accomplit.Traité sociol., 1967, p.461, 465.— ÉCON. [Dans le cadre d'une étude de marché, d'une étude de publicité] Ensemble des facteurs qui déterminent le comportement d'un agent économique (acheteur/consommateur, vendeur, etc.) face à un produit ou un service donné. La recherche de l'intérêt personnel et/ou la satisfaction des besoins économiques sont considérées comme les motivations les plus profondes de l'activité économique (COTTA 1972).♦Étude de motivation. Les études de motivation ont connu un rapide essor en Amérique du Nord, car elles permettent de percer le mystère de l'acte de l'achat et notamment de mieux orienter l'effort de publicité (ROMEUF t.2 1958):• 3. Étude de marché, étude de publicité, étude de motivation constituent en fait (...) trois approches, à des niveaux différents, du même problème ou, si l'on veut, trois moments d'une même démarche.Sociol. 1970.B. — LING. Relation, lien plus ou moins étroit entre un signe et la réalité qu'il désigne, entre la forme signifiante d'une part et le signifié d'autre part. Motivation du lexique; degré de motivation. Dans la dérivation, il y a toujours motivation (...). Enfin, l'attraction paronymique (par exemple, forcené, anciennement fors sené «hors de sens», rattaché à force) est fondée sur une fausse motivation (Ling. 1972):• 4. Le moment où la motivation d'un mot disparaît est souvent caractérisé par le fait que l'on commence à employer celui-ci dans des métaphores qui n'ont plus rien à voir avec le sens primitif. Dans l'expression française abîmer une robe rien ne rappelle plus le substantif abîme, qui est à l'origine du mot.W. VON WARTBURG, Problèmes et méthodes de la ling., trad. par P. Maillard, Paris, P.U.F., 1963, p.145.♦Motivation phonétique. Analogie entre la substance sonore de la langue et les bruits ou cris «naturels», notamment les onomatopées (d'apr. GREIMAS-COURTÉS 1979). Dans le cas de la motivation phonétique la forme phonique d'une unité lexicale, bien que très variable d'une langue à l'autre, est en relation directe avec son sens: par exemple les onomatopées fr. coucou et tic-tac. On parle dans ce cas d'une motivation directe (MOUNIN 1974, s.v. motivé).♦Motivation morphologique. Fait, pour un mot, que l'on y reconnaisse (à tort ou à raison) des composants permettant de rendre compte de son sens (par un lien étymologique ou non). Il y a (...) une motivation morphologique, dans les dérivés ou les composés; comme l'écrit Ferdinand de Saussure: «Ainsi vingt est immotivé, mais dix-neuf ne l'est pas au même degré, parce qu'il évoque les termes dont il se compose et d'autres qui lui sont associés, par exemple dix, neuf, vingt-neuf (...)» (Lang. 1973).♦Motivation sémantique. Relation entre deux acceptions d'un mot polysémique. La motivation sémantique est (...) indirecte. Ex.: l'expression le pied de la montagne où le sens figuré de pied est intelligible à partir du sens de base (MOUNIN 1974, loc. cit.).C. — PSYCHOPÉDAGOGIE. Ensemble des facteurs dynamiques qui suscitent chez un élève ou un groupe d'élèves le désir d'apprendre. Motivations à l'expression écrite. Dans la mesure où les intérêts de l'enfant et de l'adolescent évoluent en fonction des expériences scolaires ou extra-scolaires, le problème de la motivation se renouvelle constamment avec les progrès de la réflexion et de l'action pédagogiques (A. LÉON, La motivation chez les élèves de l'enseignement technique ds Psychol. scol., déc. 1972, n°9, p.78):• 5. La motivation primaire est évidemment liée au besoin; l'une et l'autre sont le produit de changements dans l'équilibre biologique entre l'organisme et son milieu, exigeant la recherche d'un autre équilibre. Il n'y a pas identité entre besoin et motivation: le premier est un certain état de l'organisme ou d'une partie de celui-ci (...); la seconde est un état du système nerveux résultant du premier, de façon directe ou par l'intermédiaire de stimulus, externes ou internes, et susceptibles de pousser l'organisme à une activité. Il n'y a pas de relation simple, linéaire, entre le besoin et la motivation.R. RICHTERICH, Les motivations à l'écriture et à la lecture en langue étrangère ds Fr. Monde, déc. 1974, n°109, p.21.Prononc.:[
]. Étymol. et Hist. 1845 (RICHARD DE RADONVILLIERS); 1899 (GIDE, Prométhée, p.311). Dér. de motiver; suff. -(a)tion. L'angl. motivation de même sens est att. dep. 1873 ds NED. Fréq. abs. littér.:199. Bbg. MARTIN (R.). Contribution à l'ét. du concept de motivation. Lille-Paris, 1977, passim. — SCHNEIDEGGER (J.). Arbitraires et motivations en fr. et en all. Bern-München, 1980, 160 p.
motivation [mɔtivɑsjɔ̃] n. f.ÉTYM. 1899; attestation isolée, 1845; de motiver.❖1 Philos. « Relation d'un acte aux motifs qui l'expliquent ou le justifient. Exposé des motifs sur lesquels repose une décision » (Lalande). || Acte gratuit (cit. 6) dont la motivation n'est pas extérieure.1 On nous enseigne d'autre part que l'œuvre d'art n'est jamais un phénomène accidentel, et qu'il faut chercher son explication, sa motivation, dans le peuple même, et dans l'artiste qui la produit — celui-ci ne faisant qu'informer l'harmonie qu'il réalisait d'abord en lui-même.Gide, Corydon, IVe dialogue.2 (Mil. XXe). Écon. « Ensemble des facteurs déterminant le comportement de l'agent économique, plus particulièrement du consommateur » (Romeuf). || Les études de motivation permettent l'orientation de la publicité.3 (Mil. XXe). Psychol. Action des forces (conscientes ou inconscientes) qui déterminent le comportement (sans aucune considération morale). || Éléments moteurs de la motivation. || Motivations inconscientes.2 La motivation est un état de dissociation et de tension qui met en mouvement l'organisme jusqu'à ce qu'il ait réduit la tension (…)D. Lagache, la Psychanalyse, p. 38.4 (1916). Ling. Relation consciemment établie par les utilisateurs d'un signe entre sa forme et sa fonction (valeur, sens). || Motivation phonique : ce qui explique la forme acoustique d'un mot par le bruit réel qu'elle désigne (onomatopée). || Motivation intralinguistique : présence de plusieurs monèmes dans un mot complexe (dérivé, composé), qui expliquent sa forme et parfois son sens; rattachement à une racine.3 Ce n'est pas le lieu de rechercher les facteurs qui conditionnent dans chaque cas la motivation; mais celle-ci est toujours d'autant plus complète que l'analyse syntagmatique est plus aisée et le sens des sous-unités plus évident. En effet, s'il y a des éléments formatifs transparents, comme -ier dans poir -ier vis-à-vis de ceris -ier, pomm -ier, etc., il en est d'autres dont la signification est trouble ou tout à fait nulle (…) Même dans les cas les plus favorables, la motivation n'est jamais absolue. Non seulement les éléments d'un signe motivé sont eux-mêmes arbitraires (Cf. Dix et neuf de dix-neuf), mais la valeur du terme total n'est jamais égale à la somme des valeurs des parties; poirier n'est pas égal à poir + ier.F. de Saussure, Cours de linguistique générale, VI, 3, p. 182.❖DÉR. Motivationnel.
Encyclopédie Universelle. 2012.